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En vers et contre tout, chroniques malpensantes
2 octobre 2013

Rama Yade, l'autre diagonale du vide

 

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La dernière fois que Rama Yade avait commis un "ouvrage", elle avait fort mal à propos intitulé "Plaidoyer pour une instruction publique" (Grasset, 2011) un recueil d'articles et de chroniques écrits par d'autres (entre autres Jean-Michel Muglioni, Natacha Polony etc.) reproduits chacun sur plusieurs pages sans guillemets ni citations. Voilà qui commence bien pour l'instruction publique, première leçon : comment réussir un plagiat.

Une fois encore, avec son dernier méfait littéraire, le titre sonne mal : Carnets de pouvoir pour quelqu'un qui, si elle a un jour exercé le pouvoir, ce fût à peine celui de choisir le chemisier qu'elle porterait au Conseil des ministres - ça tombe bien, c'est probablement ce qui aura retenu la plus vive attention de ses congénères d'alors Dati, Bougrab ou Lagarde, tout juste remises de leur émotion du dernier Chanel. En revanche, pour ce qui est du contenu, le doute n'est plus permis, elle l'a bien écrit toute seule. On se demande d'ailleurs si l'accusation de palgiat n'aurait pas été de nature pour cette fois à préserver de l'infâmie les quelques doutes qu'on pouvait cultiver sur son talent littéraire, n'ayant jusqu'alors, pour les raisons citées plus haut, jamais encore pu découvrir sa (véritable) prose.

Ces "carnets" raviront à n'en pas douter les clientes des salons de coiffure, qui pourront placer l'ouvrage sans risquer la faute de goût entre le dernier Voici et le nouveau Gala. Si on n'aime pas "la politique et tout ça c'est toujours pareil", on appréciera le tissu de racontards sans intérêt écrits avec la finesse d'une fourchette à fondue, que, ô bonheur, ne viendront pas troubler des considérations philosophiques sur le pouvoir ou l'esquisse même d'une pensée politique de l'Etat, pas plus qu'une maxime de gouvernement, il ne manquerait plus que ça...

Cette fois Rama Yade, révèle dans toute sa non complexité la nature de sa "génération", que seule l'ère Sarkozy a pu rendre possible. Rama Yade, qui a donc un termps exercé un secrétariat d'Etat esthétique (les droits de l'Homme) avant de s'échouer sur un autre porte-feuilles sans attrait (jeunesse et sports), s'essaye donc à l'exercice du récit de coulisses. Des mémoires écrits à chaud comme un recul immédiat sur l'exercice de fonctions qui placent son titulaire dans une telle frénésie de l'action qu'elles le privent ce faisant de la sérénité nécessaire à l'introspection sans la déstabilisation, à l'autocritique sans la crise identitaire. Mais voilà, tout le monde n'a pas le style d'un Villepin (Hôtel de l'insomnie, Plon, 2008; Le requin et la mouette, Plon 2004), le finesse d'analyse d'un Bruno Le Maire (Des hommes d'Etat, Grasset, 2008) ou le sens exceptionnel du récit d'un Jacques Attali (C'était François Mitterrand, Fayard, 2005), qui, tout détestable qu'il puisse être, ne peut être pris en défaut sur ses qualités littéraires.

On ne s'improvise pas Chateaubriand quand on n'a d'yeux que pour Amélie Nothomb, on ne se rêve pas Général quand on est à peine un piêtre aide de camp. Mais, tout est heureusement logique. Qu'attendre en effet de quelqu'un qui, pourtant correctement cultivé, ayant eu maintes fois l'occasion de se familisariser avec de saines références, a néanmoins choisi d'"admirer" - ce sont ses mots mêmes - comme modèle indépassable celui qui a érigé la politique en job-étape pour cadre dynamique et abaissé la fonction présidentielle au-dessous même de sa propre taille -une gageure.

Rama Yade incarne un symptôme, "pur produit du sarkozysme" comme elle se plaît à le revendiquer, mais plus grave encore, pur produit de Science-Po. A elle seule, Rama Yade est un réquisitoire par l'exemple contre la Rue Saint-Guillaume qui ne forme plus que des élites jetables pour papier galcé, piêtres rhéteurs -on s'en tiendra à son langage approximatif et inutilement bavard- persuadés néanmoins d'être des surdoués de la communication quand ils ne sont que des objets télévisuels et confondent allègrement la télégénie avec le sens de la formule. Le fond leur importe peu, ça tombe bien, ils en sont relativement incapables. Ils ne travaillent pas -ou peu-, ne sont fascinés que par l'ivresse du pouvoir et ses apparâts -"Je suis ministre ! Encore des oeufs brouillés!"- et ne s'offusquent plus des vieilles pratiques électoralistes au lait desquelles ils ont été si bien nourris.

Mieux encore, ils vendent crânement -comme rama Yade sait le faire parfaitement - en guise d'historiographie personnelle la sérénade éculée du parcours méritocratique -que leur a si bien appris leur maître- là où il n'y a pourtant que la consécration éphémère d'un arrivisme forcené érigé en principe de vie.

Peu importe ce qu'on dit, pourvu qu'on nous voit et qu'on en parle.

De ce point de vue, Rama Yade livre un ouvrage habile, qui a le mérite d'avoir le format de son objectif : la reprise médiatique. L'air du temps étant à la petite phrase, Rama Yade les compile, aussi assassines qu'inutiles. Il faut reconnaître que c'est un genre qu'elle maîtrise mieux. Sans les extraits plagiés du livre où elle avait voulu donner à voir une pensée élaborée, il ne subsistait que quelques dizaines de pages que l'auteur consacrait - décidément - à elle même.

Voilà donc le portrait de cette "nouvelle génération" censée donner du souffle à la démocratie. Celle de produits de grandes écoles où le seul apparentissage qui ait encore quelque contenu est celui de la vanité, où l'on ne pense plus rien sans pour autant s'en inquiéter, où l'on ne travaille plus que pour faire des bruits creux avec la bouche, se saisir d'un projet de loi dans l'espoir d'une ou deux couverture d'hebdomadaire ou épouser un instant les convictions les plus opportunes médiatiquement. 

Que la gauche se rassure, elle a aussi ses Rama Yade, certains ont même passé le cap de la gestation. La semaine dernière, Fleur Pellerin, pleine d'ardeur, a convoqué une grand messe médiatique pour une fois de plus ne rien dire. En voilà une autre totalement interchangeable, qui est au patrimoine de la gauche ce qu'un pavillon des années 80 est à l'architecture romane : un élément étranger.

Voilà de quoi justement, chère Rama Yade, regretter une Roselyne Bachelot sur laquelle vous médisez abondamment depuis qu'elle vous a subtilisé une apparition dans un 20H, elle qui appartient justement à une génération qui esquissait, au moins à quelques occasions, la solidité de convictions à contre-emploi.

Je suis bien triste de voir réduire la représentation politique d'une génération qui est aussi la mienne à la -certes charmante- incarnation du vide qui se dissimule à peine sous l'épaisse écume du carrièrisme.

De grâce, la prochaine fois, préservez-nous de vos états d'âme, ils sont si feints.

 

Rama Yade, Carnets de pouvoir 2006-2013, Editions du moment (le plus court possible).

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